Houx et hiboux, on est sur les genoux !
lundi 1er avril 2019 par rkj
Les houx et les hiboux, nés sous X ?
À l’Université catholique de Louvain, Daniel Mück (1924 – 2008) était un scientifique reconnu qui a longtemps travaillé sur les relations entre les oiseaux et les plantes. Personnage haut en couleurs surnommé Muck Danny et son escadrille par ses étudiants facétieux, il s’intéressa en particulier aux Strigiformes. À partir de 1997, il fut nommé Doyen de l’UCL. Le Doyen Mück passait pour être le chouette type que rien n’effraie, et c’est aussi pourquoi on le trouvait en prospection un peu partout dans le monde.
Un des moments clés de la carrière du Doyen Mück fut lorsqu’il s’intéressa de plus près aux rapports existants entre le choix des sites de nidification chez les Strigiformes et la présence de Houx.
Le Houx, (genre Ilex L., 1753) comprend plus de 400 espèces réparties dans le monde entier, sous les tropiques et dans les régions tempérées. La plus grande diversité d’espèces se trouve en Amérique et dans le sud-est asiatique. En Europe, le genre n’est représenté que par une seule espèce (Ilex aquifolium, nommé houx en français), de même en Afrique Ilex mitis et en Australie Ilex arnhemensis.
En Belgique, en France, en Roumanie, le Doyen Mück a parcouru les forêts en quête de chouettes. Un travail de titan ! Parcourir les bois ça vous laisse sur les genoux, surtout si le sol est pavé de cailloux. Mesurer les houx était devenu son quotidien, une tâche épineuse tant le port arbustif de l’Ilex se prête mal aux estimations de hauteur. Il lui fallait aussi repérer les rapaces nocturnes et ce furent donc de longues veillées qu’il passa à guetter le moindre ululement. Mais c’est à force d’opiniâtreté qu’il engrangea les observations et affina les connaissances. Ainsi, il fut le premier à vérifier que la femelle du Grand-duc d’Europe Bubo bubo L. 1758, était sensible aux Houx hauts.
La jungle sud-américaine
Toutefois c’est un concours de circonstances extraordinaire qui devait le conduire à la découverte d’un véritable bijou. En 1973, deux de ses étudiants, frère et sœur, partirent pour une obscure contrée d’Amérique du Sud pour inventorier l’avifaune. Non loin de la petite ville de Chiquito, Mireille et Mathieu Lapaloma, les deux étudiants, repérèrent une petite population d’un houx local Ilex retusa Klotzsch ex Reissek 1861.
- Ilex retusa Klotzsch ex Reissek 1861
Il s’agissait d’un ensemble d’arbustes d’1 à 2 m de hauteur qui présentaient des signes évidents de nidification. Après un affut de quelques heures, le frère et la sœur aperçurent brièvement un animal aborder le nid, mais ayant repéré les intrus, il s’éloigna rapidement… Les deux étudiants n’eurent que la vision fugace de grands yeux crevant l’obscurité. Ils se rappelèrent alors des travaux du Doyen Mück sur les relations entre Strigiformes et Ilex, et convainquirent rapidement l’enseignant de les rejoindre.
Daniel Mück savait bien sûr qu’il pouvait faire chou blanc et que les autorités palombiennes, plutôt sourcilleuses au temps de la dictature, pourraient lui chercher des poux. Quelques semaines plus tard, la petite équipe était à l’affut dans la forêt dense qui descend de la Sierra de los Bedefilos vers San Teodoro. Au milieu de cette forêt, le vert plus clair d’une bande dessinait les contours de la petite population d’Ilex retusa. Il correspondait à un affleurement de roches riches en frankinite (ZnFe2O4). Le jour tombait et le soleil avait déjà rejoint l’horizon à l’ouest. Bien cachés dans leur affut, les trois scientifiques scrutaient la ligne claire au-dessus des houx, s’attendant à l’atterrissage imminent d’un rapace nocturne…
Révélation
Contre toute attente, c’est un bien étrange mammifère qu’ils virent investir le nid. Ses grands yeux, sa livrée jaune tachée de noir et sa longue queue préhensile ne laissait aucun doute. C’est bien le mythique Marsupilamus franquini Quintard 1989 qu’ils avaient devant eux.
- Ilex retusa, spécimen de la Sierra de los Bedefilos
Cette rencontre fut une grande émotion pour les trois compères et un retentissant séisme dans le plougonvelin zoologique (oui, le landerneau c’est devenu un poncif, le genre ponce de Léon)… Malgré les photos et les poils que le Doyen Mück et ses étudiants rapportèrent, leur observation fut reçue avec une infinie circonspection par la communauté scientifique, certains mandarins n’ayant pas hésité à les traiter d’usurpateurs, et la jungle palombienne de Glozel animalier.
Il fallut attendre l’article de Quintart en 1989 pour rendre à la petite équipe son honneur et les féliciter. Entre temps, l’équipe s’était dissoute et Daniel avait dit aux Lapaloma adieu, le frère et la sœur ayant rejoint les vallées du pays Otomi, au Mexique, pour traquer le Traquet otomi, mais, ça c’est une autre histoire qui vous laissera sans voix. Avant de s’éteindre, le Doyen Mûck rappellera mainte fois à ses étudiants comment ne pas se laisser abuser par les nids d’houx.
Houx haut, Grand-duc, houx bas, houx bas…
Mück, Daniel. 1974. Questions about the choice of tree species for nesting Strigifomes : genus Ilex as a index marker in Europe. Smithsonian Contributions to Zoology. 1–84
Quintart Alain 1992. « Le Marsupilami, une espèce nouvelle pour la science », Naturalistes belges, vol. 73, 1992, p. 205-206
Speeroosevelt, Frankin, 1916. Fluid mixing forms basement-hosted Pb-Zn deposits in beryl from pegmatite in the San Teodoro amazonite granite, Sierra de los Bedefilos, Palombia : Implications for pegmatite-forming melt systems. The Quarterly journal of the Geological Society of London v.72 (1916) p 83-89.
rkj
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