Les belles histoires de l’oncle Régis
Analyse d’ouvrage

Le Grand Cirque des animaux, par André Grusse

Une promenade dans le monde de la migration

mardi 1er avril 2014 par rkj

À l’instar du grand cirque de Pierre Clostermann dépeignant les folles équipées des as de l’aviation, celui d’André Grusse, ornithologue suisse et spécialiste des migrations animales, brosse une histoire naturelle universelle des migrations animales décomplexée, avec une plume enjouée souvent pleine d’humour…

La présentation de l’ouvrage est prestigieuse, il est abondamment illustré et on notera particulièrement la préface espiègle du doyen Mück de la Faculté des Sciences de Knight-Birdmingham.

L’ouvrage commence par un long exposé sur un oiseau méconnu de vous sans doute, mais qui, vous le verrez dans les lignes qui suivent, intéressera le lecteur idanien au plus haut point, surtout s’il est originaire du val de Saône.

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Heumorie cendrée, Fareins (01)

L’Heumorie cendrée - Aida triumfalis Andreriø & Sabandson 1871 - est un Scolopacidé quasiment disparu. Son chant trompétant reste néanmoins très connu et très populaire ; aussi, chacun appréciera-t-il la trompette d’Heumorie cendrée.

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Chant d’Heumorie cendrée

Aussi curieux que cela puisse paraitre, cette espèce très orientale avait été observée par le grand égyptologue Auguste-Édouard Mariette, qui, s’il est bien connu pour ses recherches dans la vallée du Nil, fréquentait aussi celle de la Drôme, puisque c’est vers Die qu’il opéra. Il eut la chance d’observer un des mâles, fanfaraonnant et trompétant sur la rive d’une île… Cette tactique amoureuse opéra et une marche triomphale l’aïda à ravir sa belle… Quelques mentions du passage de 7 oiseaux sur le stade de France près de Paris le 2 octobre 2010 n’ont pas pu être confirmées à ce jour. Par contre, on s’explique difficilement les raisons pour lesquelles Pietro Ricchi (1606-1675), a fait figurer l’espèce dans ses fresques de l’antichambre des Chasses du château de Fléchères à Fareins, oui ! dans l’Ain - nous y voilà donc !

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Le Lion, Fareins (01)

Né à Lucques en Toscane, c’est sur les chantiers florentins que l’artiste s’était essayé avant de rejoindre l’atelier de Guido Reni à Bologne. Pris lui aussi par le démon de l’exil volontaire, il rejoignit Lyon, où de nombreux marchands et banquiers lucquois s’étaient établis (était-ce pour eux un exil fiscal ?). Pendant quatre ans on le vit en Provence, à Lyon et à Paris, mais rien n’est resté de ses œuvres sauf les décors du château de Bagnols (Rhône) et surtout ceux du château de Fléchères. L’antichambre du rez-de-chaussée servait pour les repas et les réunions, et les fresques y représentent des chasses. C’est le maître des lieux, Jean de Sève, calviniste ayant échappé au massacre de la Saint-Barthélemy, qui fit la commande à l’Italien, et la signification morale de chacune de ces fresques n’échappera à personne : le lion (l’orgueil), le sanglier (la luxure), le cerf (le refus des autres), la panthère au miroir (l’illusion des sens), c’est bien, pour chacune d’elles, le vice que chacun doit chasser hors de soi.

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Le Sanglier, Fareins (01)

L’espèce était-elle autrefois courante sur les îles de la Saône comme sur les rives du fleuve des Pharaons ? Le peintre l’avait-il croisée lors de son séjour français ? André Grusse a son idée là-dessus, que je ne vous dévoilerai pas…

André Grusse est un grand voyageur, on le sait… Il parcourt le monde avec sa bande d’amis ornithologues surnommée la bande des Cinq André, car formée de 6 naturalistes au même prénom, Courlisse, Ayronces, Houasse, Galinetz, Busarces et bien sûr André Grusse ! C’est au cours de ces pérégrinations qu’il put observer maintes espèces dont il décrivit précisément les mœurs. Ainsi, le Traquet Otomi Oenanthe muta Armey 1822, doit son nom à un peuple amérindien des hauts plateaux mexicains, et n’est pas rare dans les gorges dites Gran Cañón El Alberto Gorges au pays otomi, un peu au nord de la capitale. Ces gorges résonnent de son chant mélodieux, mais lorsqu’il entreprend sa migration au-delà du Tropique du Cancer, l’oiseau devient soudainement muet, fait unique dans le monde animal, au moins pendant la période nuptiale. Certains rapaces sont eux aussi des as de la migration ! On ne présente plus le petit Faucon crécerellette - Falco naumanni (Fleischer, JG, 1818) - dont l’aire d’hivernage principale (28 000 individus !) se résume à quelques arbres sénégalais, mais on connait moins les espèces asiatiques comme le Faucon nihai - Falco megalivoltum Mautz & Thung 1935 - de l’ile de Hainan, une, espèce aptère (cas unique chez les rapaces) toujours sur le départ, et qui vient à pied par la Chine. Dans les steppes d’Asie centrale, le beau Roddhin ou Faucon nifas (Falco knajigor Rimsk y Corsacueva 1890) est un taxon emblématique du Kulmekatan, et dont les déplacements semblent ne jamais aboutir… Le Faucon-cygne Falco rethundensis est lui, une espèce moins rare rencontrée en Réunion, mais déjà citée en 1918 puis en 1940 en forêt de Compiègne et enfin en 1945, où un individu avait été recueilli (il était vanné mais il a eu du pot) sur le Missouri. Quant au Bihomeau gris - Nyctatata sulelotus Dumarais 1872, c’est un migrateur qui fréquente assidument les fourrés le long de la rivière d’Ain (près de la confluence avec le Rhône) et de la Loire (du côté de Perreux - 42) à la recherche de jeunes proies… mais il est souvent harcelé par les butors…

Enfin, André Grusse nous conte les déplacements, certes moins spectaculaires, du Geai des chênes Garrulus glandarius du côté d’Alès. Si le noir qu’on lui prête parfois par erreur se réfère à une gemme proche du charbon, le petit corvidé se signale plutôt par une robe bigarrée. Voletant des sommets vers les vallées, il y stationne parfois jusqu’à l’époque des amours. C’est alors que résonne son chant fluté, si rare et si mélodieux, Chant du Geai des Chênes bien loin des criaillements dont il gratifie le moindre intrus qui s’aventure sur son territoire le reste du temps. Alors, ses couleurs et son chant transfigurent les zones autrefois dévolues à l’exploitation de la houille, et, avant que le soleil ne se lève, l’ornithologue pourra se délecter de ce petit concert, tôt en sol mineur…

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Le Grand Léon

Chez les insectes, si dans l’éther azuré parcouru par les floconnités protéiformes (ahem ! ) les oiseaux sont rois, personne n’oublie la gent vole-menu… Et André Grusse lui consacre un long chapitre… Les migrations des monarques européens sont moins spectaculaires que celles leurs cousins américains. Pourtant, elles marquent la mémoire collective lorsqu’elles se manifestent par exemple sur la côte nord de la Sardaigne avec Pipolus costasmeraldensis Bern 1963, ou encore dans les mentions historiques comme celle de Varennes en juin 1791 où un groupe de monarques de la région parisienne - Capetus decapitatus Drouet 1791 - vola jusqu’en Argonne… Une autre route migratoire de ces monarques européens a été signalée entre l’ile d’Elbe et Paris à l’aube du XIXe siècle : traversant la mer Tyrrhénienne, le Grand Léon, Diceras imperator Nelson 1805 (ou Manopectorus bicornatus Wellington 1815), abordait la France par le cap d’Antibes et rejoignait ensuite le bassin parisien via la région Grenobloise, faisant relâche près des nappes d’eau de Matheysine, en particulier le lac de Laffrey, alors propriété de Léon Plum et surnommé, la nappe au Léon…

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L’Aeschne mixte à Journans (01)

Chez les odonates, on connait les talents de migrateurs des Libellulidés de la tribu des Trameini, avec le fameux Pantala flavescens (Fabricius, 1798), la Libellule globe-trotter, et le grand migrateur Tramea loewii Kaup in Brauer, 1866, du Queensland australien, dont deux femelles ont été observées au lac Rotokawau en Nouvelle-Zélande en 2005 et 2007. Les larves trouvées à proximité du lac Waipara en 2007 indiquent l’espèce s’était bien reproduite dans la province du Northland Tramea loewii in NZ.. Plus près de nous, la libellules à quatre taches (Libellula quadrimaculata L. 1758) et l’Æschne mixte (Aeshna mixta Latreille 1805), sont coutumières de grands rassemblements et de grands déplacements collectifs.

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Crapaud d’Ephèse ou Dükü (lac de Beyşehir, TR-42700 Beyşehir en Turquie)

André Grusse nous emmène encore bien loin dans ce monde des migrateurs, des animaux aux déplacements parfois très lents comme le Crapaud d’Ephèse en Turquie (nommé localement karakurbağası - crapaud - dükü), l’Auroch d’or de Ferrero, aujourd’hui disparu des rochers car sans doute moins futé que le bison, mais aussi l’Anguille de Calson, la Lamproie de Shua, le persique Shahlumo ou dromaludaire à deux bosses et bien d’autres encore… Le seul animal oublié par André Grusse est surement l’Homme (Homo sapions Hapre & Minuy), cet infatigable migrateur, toujours en quête de nouveaux territoires où s’installer. Un ouvrage à recommander et à lire dès les premiers jours du 4e mois de l’année…

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Grusse, André. 2014, Le Grand Cirque des animaux, des oies aux migrateurs, Delaichaux & Nestlé, 240 p. 16.50 X 24.50 cm ; dep. leg. 01/04/2014.


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